Dans la cendre du ciel

Notes de l’auteur

 

Un théâtre du sentiment

Le lien avec la compagnie KF est ancien. Camille et Rozenn connaissent tous les textes que j’ai écrits et, de mon côté, j’ai vu tous leurs spectacles. A côté de cela, il y a aussi un certain nombre de spectacles dans lesquels nous avons joué ensemble, et puis deux textes que j’ai écrits et qu’elles ont joués séparément.
Si le nombre de spectacles importe peu, il n’en reste pas moins du temps passé à travailler, à réfléchir, à inventer, et à se découvrir une pensée commune, car on ne passe pas tant de temps avec des gens avec qui on n’a rien à partager.
Maintenant si l’on cherche à définir, le lien ainsi créé et qui nous incite aujourd’hui encore à travailler ensemble, je crois que c’est une certaine idée du sentiment qui soutient tout cela.
Dans son livre Spinoza avait raison, le neurobiologiste, Antonio R. Damasio rappelle qu’un sentiment est physiologiquement l’expression d’une émotion, on pourrait dire aussi l’idée d’un corps. Ainsi, réussir à dire son sentiment, c’est réussir à dire un rapport au monde avant que le concret de l’émotion ne se transforme en concept. A l’inverse, empêcher l’expression de ce sentiment c’est se rendre aveugle et sourd au monde qui nous entoure.
Aujourd’hui, dans un monde où justement la technologie permet de plus en plus à la virtualité de s’inscrire dans notre vie quotidienne, ne laissant de concret que la consommation à ceux qui le peuvent et le spectacle de cette dernière à ceux qui n’en ont pas les moyens, tenter l’aventure d’un théâtre du sentiment, où l’émotion concrète serait le cœur du travail recherché, fait presque figure de résistance.
« Nous persistons dans notre être à être ce que nous sommes. » C’est la définition même du conatus de Spinoza.
Réussir à transmettre ce « sentiment de vie », ce mouvement où l’opposition ne se fait pas entre le bien et le mal mais entre la joie et la tristesse, est sans doute une chose simple, c’est aussi la plus ambitieuse qui soit, mais se tenir dans cet écart en y assumant sa propre intranquillité est la source d’une grande jubilation.

Cette pièce, Dans la cendre du Ciel, parle de mon rapport au travail, au monde qui m’entoure, et de la place qui y est laissée aux sentiments, qui malgré tout échappent à toute normalisation.
Ce théâtre-là n’est pas plus politique que poétique (ni moins d’ailleurs), il essaie simplement de se frayer un passage de l’un à l’autre en faisant du sentiment sa porte d’entrée.


Je crois que c’est parce que nous partageons et défendons une même idée du théâtre que nous continuons aujourd’hui à travailler ensemble avec Camille et Rozenn, et même si chacun l’exprime dans des formes différentes, le lien n’en demeure pas moins présent.

T.B